La caméra commença à tourner. Pour la première fois depuis longtemps, c'était lui qui se trouvait face à celle-ci, et non pas derrière. On lui posa nombre de questions, auxquelles il se permit de ne répondre que par un long et pénible silence. « Je ne parlerais pas à une machine. Amenez-moi quelqu'un. », se contenta t-il de dire, ferme. Patrick ferma les yeux un instant, tentant de rassembler ses souvenirs. Il fallait qu'il soit le plus concret possible, et qu'il ne s'encombre pas de détails inutiles. Tout résidait dans la clarté de ses propos, qui tiendraient – ou non – son auditoire. La caméra pointait toujours de son néon rouge, tandis qu'un homme, noir et plutôt grand, entra dans la pièce. Il s'assied en face de lui et croise ses mains sur la table. « Bien, M. Mulligan, c'est à vous. » L'homme se racle la gorge, puis défait ses bras qui s'étaient entremêlés et serrés contre son torse.

« Je m'appelle Patrick Mulligan. 30 ans, marié, un enfant. Je suis officier de police, c'est ce que j'ai toujours voulu faire et ça me convient parfaitement. » Quelque chose lui disait qu'il était trop formel. Trop...coincé. Il ne parvenait pas à distinguer les traits de son interlocuteur avec la lumière, mais il savait parfaitement que cela tournait à l'heure actuelle, et que tout irait dans cette petite boîte noire. Son passé et son présent seraient enfermés, son avenir scellé. Il était temps de se lancer. « Je suis né à New York, je suis fils unique et j'ai passé le clair de mon enfance sur les terrains de foot. J'avais effectivement énormément d'énergie et il fallait que je me dépense, à croire que j'avais des prédestinations, car mon père est un hyperactif. Bref, j'étais ni bon ni mauvais à l'école, j'étais turbulent mais les notes suivaient malgré tout. Mes parents m'ont choyé comme beaucoup d'autres, cela s'est sans doute exacerbé avec le fait que j'étais leur seul enfant – ma mère a d'ailleurs eu énormément de mal à m'avoir. L'adolescence ? Disons que ça s'est passé relativement bien, j'ai fais ma crise, on ne m'a pas cédé et c'est exactement ce qu'il fallait faire. J'ai pour habitude de prendre le bras quand on me tend la main. » Il scruta la pièce, même s'il n'y voyait pas grand-chose. « J'ai eu deux ou trois petites amies, des relations sans queue ni tête, et presque inutiles. Mais on a, à cet âge là, besoin de se sentir exister.... Ce n'est qu'à l'obtention de mon premier diplôme que j'ai commencé à être sérieux et dévoué à mes études. J'ai intégré la NYPD après avoir fait deux ans de droit, c'est là où j'ai rencontré Gina, ma femme. Elle a par la suite continué ses études pour devenir greffière de justice. Edward est né l'année d'obtention de sa licence. J'ai commencé à travailler bien avant elle, ce qui m'a permit aussi de financer la location d'un petit studio à Brooklyn. J'ai toujours su faire la part entre ma vie privée et ma vie professionnelle, et elle m'a toujours remercié pour ça. Et puis, un jour, alors que je traquais un serial killer, ma vie a basculé... »

Son regard s'assombrit à peine.

« Carnage a accouché du millième symbiote. Et j'étais sur les lieux...j'ai donc hérité de ce dernier. Mais Carnage a tenté par la suite de me tuer, dégoûté d'avoir mit au monde 'Toxin' (le nom du symbiote qui m'habitait, comme baptisé par Venom). C'est Venom qui l'en empêcha et je réussi à fuir. Je lui en fus reconnaissant, mais par la suite, la cohabitation avec Toxin s'avéra être plutôt difficile. Joueur, têtu et violent, il a grandit très vite et s'est vite emparé de mon corps, formant un costume. Mais j'ai toujours réussi à dialoguer avec lui dans mon esprit, et nous avons finalement réussi à obtenir un terrain d'entente, même si je n'y croyais pas au départ. Un an plus tard, Carnage est revenu à l'assaut et a tenté de tuer ma femme et mon fils. C'est à ce moment là que j'ai réalisé que le symbiote était un danger pour mes proches...j'ai feins une folie vengeresse de la part d'un ancien condamné, et vis désormais dans un deux pièces au dernier étage d'un immeuble de Manhattan. Je vis seul, évidemment, rendant visite de temps à autre à ma famille. J'ai tenté le suicide pendant ces premiers mois, tant j'étais désespéré. Le symbiote m'a alors parlé et j'ai compris. Je devais absolument cohabiter avec lui. Pour l'instant, Gina me croit, mais la supercherie durera t-elle suffisamment longtemps ? Je ne pense pas... »

Il ravala sa salive.

« J'ai peur. Terriblement peur, mais je n'ose faire le premier pas. D'autant que Venom semble m'en vouloir également. Je l'ai combattu à l'aide de Spiderman et Black Cat...il s'était allié à Carnage afin de m'annihiler...mais ceci m'a toujours perturbé. Après tout, c'était lui qui m'a sauvé lorsque Carnage voulait me tuer...alors pourquoi ? Pourquoi refuser mon point de vue sur les criminels ? Pourquoi m'empêcher de faire le Bien ? »

L'homme en face de lui ne parlait pas. Il se leva finalement, puis pointa un .12mm sur lui. Paddy recula, faisant tomber sa chaise par terre. Mais c'était trop tard. Il avait tiré. Son poumon perforé, il suffoquait. Et puis le trou noir. Le vide.

Il plongeait...

Réveillé en sursaut, le dos en sueur, il regardait autour de lui, le cœur battant. Ce n'était qu'un cauchemar. Un foutu cauchemar.

Le cauchemar de sa vie...